Le Figaro 01/11/24 – Caroline Meyer
La réforme à 1 milliard d’euros lancée en 2023 par Emmanuel Macron, qui vise notamment à augmenter la durée des stages et à les rémunérer, est jugée « hors sol » et trop coûteuse.
Avec le lycée professionnel, c’est toujours la même histoire. Régulièrement, les politiques promettent la grande réforme. Immanquablement, ils s’engagent à en faire une « filière d’excellence ». De quoi « susciter des vocations », expliquent-ils, et développer ces compétences techniques dont le pays a besoin, à commencer par son industrie. La plupart du temps, de formidables réussites de jeunes gens passionnés viennent illustrer le propos. En mai 2023, Emmanuel Macron parlait de « cause nationale ». Il lançait alors sa réforme du lycée professionnel avec le double objectif de « zéro décrochage et 100 % d’insertion ». Il promettait d’augmenter la durée des stages, qui seraient désormais rémunérés, et de fermer les formations ne proposant pas de débouchés sur le marché du travail.
Pour couper court aux exaltations, Pascal Vivier, secrétaire général du Snetaa- FO, le premier syndicat de l’enseignement professionnel, aime à rappeler quelques données. À l’entrée en seconde professionnelle, plus de 50 % des élèves présentent de grandes difficultés en lecture, écriture, calcul et compréhension. « Ce que l’on appelait autrefois l’analphabétisme », résume-t-il. En CAP, il atteint 70 %. Un jeune issu de l’immigration subsaharienne a quatre fois plus de chances d’aller en lycée professionnel qu’en lycée général et technologique. Enfin, les trois quarts des lycéens en situation de handicap sont scolarisés dans cette voie. « Le lycée professionnel reste une voie derelégation et une variable d’ajustement », estime le représentant syndical.
La réforme d’Emmanuel Macron ? « Je n’arrive pas à y trouver quoi que ce soit de positif », lâche-t-il. Mise en place depuis 2023, elle fait l’unanimité syndicale contre elle. Ce qui n’est pas courant dans la voie professionnelle. « On a jeté 1milliard d’euros par la fenêtre ! Rendez-le nous pour que l’on fasse quelque chose d’utile pour les jeunes, les entreprises et le pays », lance Pascal Vivier.
Un milliard d’euros. C’est ce que l’État a mis sur la table pour financer, en 2023, la rémunération des lycéens en stage (50 euros en seconde, 75 en première et100 en terminale) et le recrutement de 1 200 personnes pour piloter ces «bureaux des entreprises » appelés à renforcer les liens entre les lycées et le monde économique. « Aller à l’école pour gagner de l’argent ? Le principe est scandaleux », observe le Sneeta, qui, depuis 1998, milite pour des «gratifications », qui prendrait la forme de passes culture ou de bourses. Il revendique la création d’un véritable « statut » de lycéen professionnel. Une population majoritairement pauvre, dont le quart travaille en parallèle de ses études.
La mise en place de la réforme s’achèvera en cette année 2024-2025, avec un nouveau dispositif en terminale. Les élèves auront le choix entre six semaines de stages supplémentaires (l’année de terminale en compte déjà six), afin de renforcer les chances de décrocher un emploi, et des « cours intensifs », pour préparer les études supérieures. L’Éducation nationale a appelé cela « l’annéeY ». « Le bouquet final ! s’emballe Pascal Vivier. On explique finalement à des élèves qui ne sont pas scolaires qu’ils vont partir en stage et perdre donc 160heures d’enseignements. Le problème n’est pas que nous formons de mauvais mécaniciens ou de mauvaises auxiliaires de puériculture, mais que ces jeune sont souvent de grandes difficultés d’expression, de communication et d’insertion au sein des entreprises. »« Avec tous ces élèves qui n’auront pas trouvé de stage, “l’année Y” va faire exploser l’absentéisme », estime de son côté Jean-Rémi Girard, au Snalc, syndicat enseignant.
Ministre délégué à l’Enseignement professionnel nommé le 21 septembre,Alexandre Portier explique qu’il va s’attaquer à la modernisation de l’offre de formation. Vaste tâche. En 2018, Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l’Éducation, avait annoncé la fermeture de la moitié des filières gestion et administration, surreprésentées car moins coûteuses que des filières industrielles. Si ces formations ont officiellement fermé, les rectorats les ont remplacées, à 95 %, par des bacs pro « commerce-vente »… « Ces formations tertiaires servent de voie de délestage pour les élèves que l’on ne sait pas où affecter », observe Jean-Rémi Girard. Et pendant ce temps, le pays manque de soudeurs, de couvreurs ou d’aides-soignants.
C. B.